« Les belles-sœurs » de Michel Tremblay : 50 ans déjà!

Bibliothèque et Archives nationales du Québec (BAnQ) est fière de souligner le 50e anniversaire des Belles-sœurs, pièce majeure de la dramaturgie québécoise. Elle vous présente pour l’occasion des images évocatrices de documents d’époque précieusement conservés dans ses fonds d’archives, tous accessibles au grand public. Mentionnons que certaines de ces images ont déjà servi à illustrer le récent ouvrage intitulé Les belles-sœurs : l’œuvre qui a tout changé de Mario Girard.
Dans le fonds Michel Tremblay, se trouve le manuscrit original de la pièce. La Bibliothèque nationale du Québec a acquis ce précieux autographe à l’automne 1970.




Beaucoup d’encre a coulé au sujet de cette pièce de théâtre qui a fait plusieurs fois le tour du monde. Rappelons tout simplement que cette pièce, écrite en 1965, réunit sur scène « quinze Canadiennes françaises du milieu ouvrier de Montréal »[i]. Germaine Lauzon, gagnante d’un million de timbres-primes Gold Star, invite des parentes, des amies et des voisines pour coller ses timbres dans des livrets. L’expression tantôt comique, tantôt tragique, de la condition humaine de chacune de ces femmes, et de toutes en chœur, s’installe dans la modeste cuisine. Puis la jalousie s’invite au party et transforme le « bonheur » de Germaine en cruelle dépossession.

Ce n’est que le 4 mars 1968, après quelques vaines tentatives pour faire connaître cette œuvre écrite en joual, qu’a lieu une première lecture publique de la pièce sous la direction d’André Brassard. Cet événement est organisé par le Centre d’essai des auteurs dramatiques (CEAD) qui a justement pour mission d’encourager et de promouvoir le théâtre québécois. BAnQ Vieux-Montréal conserve le fonds d’archives du CEAD.


Dans une lettre en provenance d’Acapulco, où il dit être pour écrire un roman, Michel Tremblay exprime au président du CEAD toute sa satisfaction de voir enfin son œuvre « naître ».


Il y souligne notamment le travail accompli par André Brassard depuis deux ans, tant pour la préparation de la mise en scène que pour la distribution des rôles à des comédiennes de talent. Il veut également s’assurer que le CEAD a entre les mains la dernière version de la pièce avec « l’ode au bingo! » et la scène entre Lise Paquette et Pierrette Guérin.

Curieusement, c’est dans le fonds d’archives de la Comédie Canadienne, fondée par Gratien Gélinas, que nous trouvons le manuscrit de la pièce avec « l’ode au bingo! » et les touchants monologues de Pierrette Guérin et de Lise Paquette. Cette version dactylographiée, et en partie manuscrite, comporte plusieurs autres modifications, ajouts et retraits effectués par l’auteur. Le personnage de Rose Ouellette, qui deviendra Rose Ouimet pour éviter toute confusion avec la comédienne du Théâtre des Variétés, y apparaît toujours, mais sans son monologue du « Maudit cul ! » qui sera ajouté par la suite.
Michel Tremblay termine sa lettre par un fait plutôt cocasse. Il écrit se sentir obligé de prévenir les gens que ses pièces sont vulgaires. « Drôle » de précaution qui, dit-il, « passera avec l’âge… ».

La première création sur scène des Belles-sœurs a lieu le 28 août 1968 au Théâtre du Rideau Vert qui fête, cette saison-là, son 20e anniversaire. Ce premier théâtre professionnel francophone au Canada fut fondé par Yvette Brind’Amour et Mercedes Palomino. BAnQ Vieux-Montréal conserve le fonds d’archives du Rideau Vert.




La pièce est mise en scène par André Brassard et le décor est confié à Réal Ouellette. Fait intéressant, la magnifique maquette de décor en trois dimensions conçue par Ouellette est conservée par BAnQ depuis 2008 grâce au don fait par Michel Tremblay.


L’ode au bingo !



Pour cette première production de la pièce, François Barbeau est responsable de la conception des costumes. Les archives du talentueux costumier sont aussi conservées à BAnQ Vieux-Montréal.

« Un million de timbres! Sont devant moi, là, pis j’le crois pas encore! Un million j’sais pas au juste combien ça fait, mais quand on dit un million, on rit pus!… »
(Germaine Lauzon)

« Encore hier, la belle-sœur d’une de mes belles-sœurs est venue pour quêter chez nous. Vous me connaissez, le cœur m’a fondu quand a m’a conté son histoire (…)»
(Thérèse Dubuc)

« Ma vie est plate ! Plate ! Pis par-dessus le marché, chus pauvre comme la gale ! Chus tannée de vivre une maudite vie plate ! »
(Marie-Ange Brouillette)

« Y’avait rien que Johnny qui comptait pour moé… Y m’a faite pardre dix ans de ma vie, le crisse ! »
(Pierrette Guérin)

« Tu sauras que chus pas pour l’amour libre, moé ! Chus catholique ! Reste donc dans ton monde pis laisse-nous donc tranquilles ! Maudite guidoune ! »
(Rose Ouimet)

La pièce crée l’onde de choc que l’on connaît. La controverse fait aussi bien dans le « navet » de « blanc-bec d’auteur » que dans « l’œuvre de salubrité nationale », comme en témoignent cette lettre de Mme Abonnée Déçue et celle de Claude Jasmin adressées au Rideau Vert.


Le public reconnaît la puissance de l’œuvre et c’est un triomphe. Dès l’année suivante, le Théâtre du Rideau Vert annonce une reprise hors saison de la pièce en soulignant son caractère historique pour le théâtre québécois.

Espérons qu’il ne s’agit pas de la version officielle, car plutôt que de nommer le joual, ce communiqué parle de « language ébouriffant ». En français, c’est langage. Faudrait peut-être pas en « perler » à Lisette de Courval…
Saluons l’audace et le génie du tandem Tremblay-Brassard ainsi que le talent de ces comédiennes de la première heure et de ces jeunes artisans de la scène.

Sylvain de Champlain avec la collaboration de Marthe Léger, archivistes – BAnQ Vieux-Montréal
[i] Michel Tremblay dans le Programme du Théâtre du Rideau Vert, saison ’68 ’69, volume 9, numéro 1, 28 août 1968. BAnQ Vieux-Montréal (P831,S2,D10).
Très intéressant!
Beau choix de documents d’archives.
Super beau travail de recherche. Bravo !
“Les Belles sœurs”: 50 ans déjà! Une œuvre mémorable grâce aux remarquables artistes et dont la pérennité est en partie assurée grâce aux artisans de BAnQ.
Très beau travail Sylvain! Je suis fière de mon beau frère.
denysexxx
Très bel article, inspirant et complet.
Magnifique ! Merci beaucoup pour ce riche article !
Et maintenant, le joual et la vulgarité ont envahi nos ondes, nos scènes de théâtre. et nos écrans de cinéma… Bravo ! Mauvaise idée pour le gouvernement du Québec de continuer à subventionner un créole qui nous isole du reste de la francophonie. Le déclin du «français» au Québec doit beaucoup à ces supposés artistes de la gogauche cuculturelle, qui abaissent le peuple plutôt que l’élever. En se vautrant, on peut pas aller bien loin. (Ceci dit, les comédiennes étaient ben bonnes…, je l’admets.) Cordialement…